Métaphores choisies
Les métaphores sont certainement parmi les plus belles créations de la littérature. Certains auteurs n’en font pas, comme Flaubert, car l’impersonnalité stylistique qu’il revendique le lui interdit. Certaines métaphores véhiculent des lieux communs. D’autres sont des prodiges d’invention et d’imagination visionnaire. Mes lecteurs partageront-ils mon enthousiasme pour ce petit florilège ? Attention, il ne faut pas aller trop vite ! La saveur se dégage petit à petit.
Les trois maîtres de la métaphore, parmi les auteurs que je fréquente, sont Lawrence Durrell, Proust et Giono. Je réserverai prochainement un billet à chacun. Mais que vous semble de celles-ci ?
« Très souvent dans la journée, ma tête se met à rugir comme un four crématoire. »
Maximilien Aue, l'officier de la SS dans Les Bienveillantes de Jonathan Littell, p. 14.
« Oh ! de la neige ! On dirait un champ de coton sans esclaves ! »
Chantal Maignan, Fort-de-France
« Brièvement, à mi-parcours, il aperçut la surface gigantesque et ridée de la mer, comme une peau de vieux en phase terminale »
Houellebecq, La Carte et le territoire, p. 133.
On voyait sur la vidéo « le croisement de deux langues complices sur un pénis comme se croisent les vols des hirondelles, légèrement inquiètes, dans le ciel sombre du Sud de la Seine-et-Marne, alors qu’elles s’apprêtent à quitter l’Europe pour leur pèlerinage d’hiver. »
Houellebecq, Soumission, p. 26.
« Quand elle souriait, son visage semblait passé au Miror. Cette fois-ci, on aurait pu croire que je venais de la demander en mariage. »
Philippe Djian, 37°2 le matin, p. 198.
« Perse se réveilla en sursaut. À la tribune, un homme au visage pâle avec une couronne de cheveux blonds sur la tête parlait en anglais avec un lourd accent allemand, mordant les consonnes et les recrachant comme s’il s’agissait de pépins. »
David Lodge, Un tout petit monde, p. 313.
« L’émigration aristocratique sous la Révolution fut proportionnée par un destin artiste, comme la crue du Nil, aux besoins de la littérature : rentrée plus tôt, elle n’aurait pas eu le temps de s’imprégner de l’étranger ; restée plus longtemps comme l’émigration protestante au XVII°, elle s’y fut absorbée et eût enrichi la littérature étrangère. De 1793 à 1820, tous les écrivains qui comptent sont étrangers (G. de Staël, Constant, Bonaparte) ou émigrés (Chateaubriand, Bonald, Sénancour, Rivarol). Tout ce qui n’a pas subi l’épreuve de la frontière rampe. »
Albert Thibaudet, Histoire de la littérature française.
« L’Université a diffusé le poncif que Balzac écrit mal. Un Piétinement de chevaux et d’hommes en marche, puissance dépourvue de musicalité comme Massillon, Chateaubriand ou Lamartine. On a fini par reconnaître que c’est la grande armée qui passe. »
Albert Thibaudet, Histoire de la littérature française.
« Les Lundi sont l’œuvre du plus sûr liseur qui ait existé. Dans les auteurs de trois siècles, de Rabelais à Lamartine, on peut être certain que la citation que Sainte-Beuve a choisie est la meilleures, le trait qu’il retient le plus typique et il faut avoir passé sur un sujet après lui pour voir qu’il s’est levé le plus matin et a cueilli les plus beaux fruits. S-B est le plus grand causeur de notre littérature, aussi agréable que Voltaire, aussi fort que Diderot. Par lui, la critique est devenue la 10° muse.
Albert Thibaudet, Histoire de la littérature française.