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Homère chrétien


Simone Weil a complètement bouleversé les généalogies établies en affirmant que l’ascendance de l’Évangile se trouvait du côté de l’Iliade plutôt que du côté de l’Ancien Testament. L’Évangile, soutient-elle, est « la dernière et merveilleuse expression de l’esprit grec » (L'Iliade ou le poème de la force (1941). Autant que la Passion, l’Iliade, en effet, exprime le sentiment de la misère humaine, sans faire de différence selon qu’elle est éprouvée par un Troyen ou par un Achéen. Les Romains et les Hébreux au contraire se sont, à ses yeux, soustraits à la commune misère en méprisant les étrangers et les vaincus. « Aucun texte de l’Ancien testament n’est à la hauteur de l’épopée grecque sauf certaines parties du Livre de Job », écrit Simone Weil.

C’est à peine si on sent qu’Homère est grec plutôt que troyen. Ce poème est « une chose miraculeuse », dit-elle, sans équivalent en Occident en dehors des tragédies d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide. L’horreur des combats est uniforme sauf en quelques moments lumineux qui mettent en valeur l’amour maternel, filial ou conjugal, ou les liens d’hospitalité entre belligérants. Le sommet de l’épopée est atteint dans la scène de fraternisation entre Priam et Achille. Priam en deuil de son fils fait penser Achille à son vieux papa. Les pires ennemis finissent par tomber dans les bras l’un de l’autre et par conclure une trêve en partageant un repas.

Ce qui a été dit dans les deux précédents billets de la psychologie d'Homère et de son féminisme recoupe la psychologie de Jésus et son féminisme. Jésus laisse venir à lui les petits enfants, la prostituée et la femme adultère. Il oppose la fraternité à la jalousie, au ressentiment, à l'esprit de querelle comme en témoignent plusieurs paraboles, Les ouvriers de la onzième heure, Le fils prodigue, La paille et la poutre, etc. On peut voir plusieurs scènes de l'Évangile se dessiner en filigrane derrière plusieurs scènes de l’Iliade, ou l'inverse. La scène d'adieux d'Hector à Andromaque et au petit Astyanax préfigure la Sainte Famille. Pour embrasser son fils, Hector doit enlever son casque dont le haut cimier effraye Astyanax. Seul Virgile, dans toute l'Antiquité, saura retrouver ce ton familier et familial : Incipe, parve puer, risu cognoscere matrem, Apprends, petit enfant, à reconnaître ta mère à son sourire. (quatrième églogue).

Le poème d’Homère s’achève par la peinture de trois femmes pleurant sur le corps du héros sacrifié : Hécube, Andromaque et Hélène nous évoquent les trois Marie au pied de la croix. C'est pas tous les hommes qui ont la chance d'être veillés par trois femmes à l'heure de leur mort, écrivait un jour Gabriel Matzneff. Or ce deuil ne concerne pas « les nôtres » (les Achéens), mais notre irréductible ennemi ! Eschyle se souviendra de la leçon quand, avec Les Perses, il fit pleurer les Athéniens sur l’immense désastre de l’armée ennemie. Aimez vos ennemis, Matthieu, V, 43.


Photo : Astyanax, Andromaque, Hector // Jésus, Marie, Joseph. J'ignore quel est l'auteur de ce tableau.

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