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La danse des vaches. Dialogue agricole

La Débutante dans la vie : Que fais-tu là père-grand ?

Père-grand : J'étudie l'agronomie, mon enfant. Tiens, regarde ces vaches.

La DDLV : Quelles sont belles !!! Mais pourquoi elles courent comme ça, père-grand ?

PG : C'est la danse des vaches chère à Alain Finkielkraut. Elles sont folles de joie.

La DDLV : Pourquoi elles sont folles de joie, père-grand ? Elles ont mangé trop de viande ?

PG : Qu'est-ce que tu racontes ?

La DDLV : La maîtresse nous a dit qu'il y a des vaches qui sont devenues folles parce qu'on leur avait donné de la viande à manger. PG : C'est exact, mais sur cette photo, elles sont folles de joie parce qu'elles ont passé tout l'hiver à l'étable et qu'au printemps, elle peuvent aller gambader dans les pâturages.

La DDLV : Alors, il y a aussi des vaches heureuses ! ... Mais on va les manger !

PG : C'est quoi, l'problème ? Si on n'mangeait pas d'viande, il n'y aurait même pas d'vaches ! Alors, elles n'danseraient pas, mon petit béta ! Ce serait mieux ? Je ne parle pas de la ferme des 1000 vaches. La DDLV : La maîtresse a dit qu'il valait mieux manger des céréales parce qu'il faut 5 kilos de céréales pour faire un kilo de viande. Alors, on pourrait nourrir cinq fois plus d'hommes et arrêter de couper les forêts. PG : C'est vrai. Et, en plus, les rots et les pets des vaches produisent du méthane qui est 25 fois plus nocif que le CO2. La DDLV : Et c'est quoi, sur cette photo, père-grand ? On dirait des bonbons.

PG : Malheureuse, c'est du poison ! Regarde mieux.

La DDLV : Ah, je sais, c'est du blé ! Non, c'est de la mort aux rats !

PG : Hélas non ! C'est des grains de blé qu'on a trempés dans des néonicotinoïdes.

La DDLV : C'est quoi, père-grand, des niconi...

PG : Oui... Le nom est aussi barbare que la chose. C'est pour tuer les abeilles, les papillons et les autres insectes. Les vers de terre aussi. On en met dans tous les champs, maintenant.

La DDLV : Alors qu'est-ce qu'il faut manger, si on ne doit pas manger de la viande ni du blé. Du fromage ?

PG : Le problème, c'est que pour faire du fromage, il faut du lait et que, pour avoir du lait, il faut que les vaches aient des veaux. Alors, quand elles commencent à faire du lait, on leur prend leurs veaux et on en tue beaucoup.

La DDLV : Alors, qu'est-ce qu'on va manger, père-grand, pour ne pas faire de mal à la nature ? On ne va quand même pas manger des vers de terre.

PG : Pourquoi pas ? Il parait que c'est très bon. Les hommes préhistoriques en mangeaient plein. La DDLV : Alors, pourquoi tu n'en manges pas, toi ?

PG : Hum, c'est que je n'ai plus très faim. À propos, tu sais que les vers de terre sont nos petits amis ?

La DDLV : Pourquoi les vers de terre, ils sont nos petits amis, père -grand ?

PG : Parce que ce sont d'infatigables laboureurs. Aristote les appelait les intestins de la terre.

La DDLV : Qui c'est Arostite ? C'est un asticot ?

PG : Évidemment ! Mais est-ce que tu sais que tous les vers de terre du monde pèsent plus lourd que tous les animaux du monde ?

La DDLV : Même les baleines ? PG : Tous les animaux, je te dis ! De la puce à l'éléphant en passant par l'homme !

La DDLV : Mais pourquoi les vers de terre sont nos petits amis, père grand ?

PG : Parce qu'ils nourrissent les racines des plantes. Avant, on croyait qu'ils mangeaient les racines. Darwin a montré que c'était le contraire. Ils s'occupent de leur nourriture. Ils n'arrêtent pas de monter et de descendre, comme des ascenseurs. Tu sais comment ils font pour avancer, les vers de terre ? La DDLV : La maîtresse nous l'a dit ! Ils avalent la terre par la bouche et ils la rejettent par l'anus !

PG : Oui. Le jour, ils descendent dans les profondeurs de la terre et ils en remontent des minéraux, et la nuit, ils vont chercher des matières organiques en surface. Après, il mélangent tout, et ça fait du bon compost pour les racines. En plus, ils produisent de l'azote et d'autres bons engrais. La DDLV : Alors, il faut pas les tuer, les vers de terre... PG : C'est pourtant ce qu'on fait avec nos néonicortinoïdes et avec nos labours profonds. Laboureur, relève un peu le soc !

La DDLV : Il faudrait le dire au Président !

PG : Il le sait très bien mais les lobbies sont toujours les plus forts.

La DDLV : Alors, qu'est-ce qu'on peut faire, nous, pour sauver la planète ?

PG : On peut déjà faire une chose, mon enfant, c'est inverser la proportion. Au lieu de manger 2/3 de produits animaux et 1/3 de produits végétaux, on inverse. Et puis, tiens, voici un poème de Victor Hugo. Il se souvient de ce que son père lui disait quand il avait juste ton âge :

Vois, mon fils ! Cette terre, immobile à tes yeux,

Plus que l’air, plus que l’onde et la flamme, est émue,

Car le germe de tout dans son ventre remue.

Dans son flanc ténébreux, nuit et jour, en rampant,

Elle sent se plonger la racine […].

Toujours l’intérieur de la terre travaille.

Son flanc universel incessamment tressaille.

Dans son sein, que n’épuise aucun enfantement,

Les futures moissons tremblent confusément.

Souvenir d'enfance, Les Feuilles d'automne, XXX

Une autre fois, une jeune fille avait piqué une belle rose dans son corsage et Victor s'est mis à penser à la racine de la rose cachée :

Au sein mystérieux de la terre géante.

Là, par un lent travail que Dieu lui seul connaît,

Non sans faire avec tout des échanges secrets,

La racine, humble, obscure, au travail résignée,

A, sans en rien garder, fait ce parfum si doux.

Les Rayons et les Ombres, XXVIII

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