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Peau blanche et masque noir


L'actuelle exposition Dada Africa donnée à l'Orangerie (jusqu’au 19 février) vient superbement nous rappeler ce que fut, à partir de 1916, la révolte artistique transdisciplinaire réalisée par dada, Die Brücke, le cubisme, le surréalisme à partir de cultures réputées barbares au premier rang desquelles figure la culture nègre. Les Picasso, les Derain, les Brancusi, etc., sont assidus dans les musées ethnographiques, frappent chez les collectionneurs. La promiscuité des tranchées compta aussi.

J'avais fait remarquer dans mon billet consacré à la mort de Johnny que le mouvement yéyé avait une descendance dans mai 68 et une ascendance avec dada et que dada et yéyé se présentaient comme des révoltes contre la civilisation européenne après le trauma des deux guerres mondiales. Dada, yéyé et mai 68 : la culture occidentale connaît un mouvement de torsion qui met les normes sens dessus dessous.

En peinture, l'Afrique est évidente dans le cubisme, en musique, dans les percussions, dans les cris et dans une gestuelle érotique qui bouleversent le goût européen. La filiation du jazz, du rock et du yéyé confirme que c'est bien un débarquement africain que connut la culture blanche au XX° siècle.

Alors, pour inverser le titre de Frantz Fanon, mai 68 ne fut-il pas un événement noir sous une peau blanche ? C'était déjà vrai avec Johnny : enlevez-lui l'électricité et les paillettes, mettez-lui du cirage sur la figure, écrasez lui le nez et regardez le hurler, voyez le donner ses coups de rein et se rouler par terre, voyez la transe qui s’empare de ses fans, voici l’Afrique profonde !

Mais une nuance de taille s'impose. Tous les mouvements qui viennent d'être cités relèvent davantage de la lutte des générations que de la lutte des classes confisquée par le marxisme-léninisme-stalinisme au XX° siècle. La colonne vertébrale de la culture africaine, à savoir le culte des ancêtres, fait donc complètement défaut aux révoltes de l’après-guerre sur lesquelles nous vivons encore et, même, de plus en plus. C’est au contraire la prédiction de Balzac qui se vérifie avec yéyé et avec mai 68 : « En coupant la tête du roi, on a coupé la tête de tous les pères de famille. » La greffe africaine fut détournée de sa signification traditionnelle et servit à purger l’Europe de son trop-plein de patriarcat.

Photo : la statuette ashanti que Sandra et Sabine m’ont offerte pour Noël.

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