La vanité mère de tous les vices
Je regarde les conflits qui se déroulent autour de moi, y compris ceux dans lesquels je suis impliqué, il y en a plusieurs, et je me demande quel en est le ressort profond. Longtemps, le marxisme m’avait semblé décaper la vérité à l’os en répondant l’intérêt. Je me souviens d’une conférence donnée en 1969 à la fac d'Aix par André Wurmser qui demandait pourquoi les hommes politiques faisaient de la politique et qui finissait par répondre : pour défendre leurs intérêts. Je ne méconnais pas ce qu’il y a de profondément vrai dans cette affirmation sur la toute puissance de l’argent dans les conflits humains.
Aujourd’hui en voie d’épuisement, la référence à Freud était, elle aussi, longtemps obsédante, même si sa pensée m’a toujours semblé floue et molle en dépit de son fracas. Bien sûr, il ne me vient pas pour autant à l’esprit de nier l’immense empire du sexuel.
C’est dans ce contexte que la lecture de René Girard fut pour moi une révélation dans les années 80, parce qu’il met le doigt sur un autre organe humain fondamental, l’amour-propre. Girard parle plutôt de mimétisme, mais il est clair que si on imite, c’est pour se parer des qualités de son modèle, c’est-à-dire pour améliorer son image, c’est-à-dire pour se rendre désirable aux yeux des autres. L’amour-propre, ce n’est rien d’autre que cela, le souci du regard d’autrui.
À côté de l’argent et du sexe, il fallait donc faire place à un troisième ressort anthropologique, l'amour-propre et veiller à la façon dont il se combine avec les deux autres.
Il existe assurément un amour-propre légitime. Nous ne saurions nous passer de la bonne estime des autres, c’est même un stimulant éthique précieux qui nous pousse à la loyauté dont j’entendais parler ce matin sur France Culture par Delphine de Vigan. Mais, pris en mauvaise part, l’amour-propre s’appelle la vanité. Amour-propre, vanité, je sais bien que cela fait furieusement XVII° siècle. Mais il se pourrait bien que les psychanalystes du XVII° siècle, les La Rochefoucauld, les Pascal et bien d’autres moralistes jansénistes, aient fondé une école psychanalytique qui détient des vérités que le raz-de-marée freudien a fait oublier.
Dans nos conflits de famille, de voisinage, de travail etc., mon idée est que si nous avons parfois tellement de mal à nous en sortir, c’est à cause de la vanité, cette maladie de l’amour-propre. C’est ce qui nous rend si sensibles aux offenses, ce qui nous pousse à nous indigner sur la façon dont on nous traite, ce qui nous rend partiaux dans nos jugements, en notre faveur, évidemment, ce qui nous rend presque incapables de rentrer en nous-mêmes, de revenir sur la position que nous avons une fois défendue.
Et comme les autres sont comme nous, c’est-à-dire en proie, eux aussi, à certaine vanité, on aboutit à l’engrenage de deux vanités blessées… Le grand combat de la vie, c’est donc le combat de la vanité et de la lucidité. Mais là, je m’engage sur le terrain de Paul Diel, le maître de l’introspection sur qui j’aurai à revenir.