De la caresse
Si les vieux gémissent tant dans les hospices, note Houellebecq dans Extension du domaine de la lutte, c’est qu’ils sont privés de caresses. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls. Le besoin d'un autre être fait pourtant partie de notre nature et notre épiderme sensible est entièrement tapissé de corpuscules de Krause.
Mais il faut tenir compte du dégoût autant que du goût. C’est la jeunesse et la beauté qui attirent. Le caractère aussi. Les caresses charitables ou civiques sont envisageables mais limitées. Fourier avait bien imaginé que les jeunes soient obligés de caresser les vieux à qui ils doivent tout ce qu’ils sont... Restent les caresses vénales. Non, la règle de la caresse est la réciprocité, c’est-à-dire qu’elle est une application, passée inaperçue par Marcel Mauss, de l’universelle règle du don et du contre-don. Non seulement les caresses doivent être consenties, mais elles doivent être réciproques. La dissymétrie s’appellerait domination / soumission. Chacun donc donne et reçoit. De la protection, de la douceur, de l'affection, de la confiance, du plaisir.
Une autre chose me frappe. Qu’elle soit superficielle ou profonde, une caresse est à la fois prise et don. Toucher un corps désiré, est une acquisition, une emprise, un privilège, mais c'est fait pour procurer du plaisir à l’autre. Et, si on veut bien y penser, le plaisir d’emprise est beaucoup plus cérébral que sensitif. Je ne dis pas que la main est dépourvue de particules de Krause mais il me semble qu’à la différence de toute notre enveloppe corporelle, elle est un organe intelligent destiné à l’action plus qu’à la sensation. Elle explore et analyse. Les sensations vives, elles les fait éprouver plus qu'elle ne les éprouve elle-même.
Les caresses s’échangent selon une dramaturgie et des nuances toujours inventées qui sont le secret de chaque couple. Elles permettent un échange total dans lequel on ne peut hiérarchiser le sentiment, la connaissance et la sensation.
Photo : dessin d'Egon Schiele, Vienne.