Athènes ou Béthléem ?
Il y a quelques jours, en trempant ma tartine, j'ai entendu l'émission religieuse de France-Culture consacrée au Noël orthodoxe, décalé d'une semaine par rapport au nôtre, vous le savez, mon lecteur plein de piété. Le pope parlait en termes émouvants de la naissance misérable du petit Jésus dans une étable avec le bœuf, l'âne, les bergers. Toute cette mythologie chrétienne est en effet bien belle et se continue dans tout l'Évangile à travers les gens du petit peuple que fréquente Jésus, dans les petits enfants qu'il laisse venir à lui, dans l'âne qu'il enfourche pour entrer dans Jérusalem, dans les Béatitudes qui disent bienheureux les pauvres et les derniers seront les premiers, dans sa mort même digne d'un esclave. Jésus propose un mode de classement inversé qui inspira les révolutionnaires du monde entier. Le pope résumait tout cela par le mot humilité qui détonnait complètement dans le monde antique comme il détonne dans le nôtre où se pavanent les oligarques. C'est toute une éthique et une esthétique nouvelles qui naquirent le jour de Noël, une révolution morale et stylistique que Victor Hugo résumait par sa formule magnitudo parvi et qui inspira Les Misérables.
Les Grecs eux aussi ont fait la critique de l'orgueil, qu'ils appelaient hybris. Homère fait de l'hybris le défaut d'Achille qui boude dans sa baraque pour une stupide affaire de belles captives. Œdipe a la grosse tête ou, si vous préférez, les pieds enflés, lesquels sont, comme chacun sait, les symboles de l'âme. Il en résulte toutes sortes de sottises. Thucydide fait aussi de l'hybris la cause de l'impérialisme athénien. Alcibiade entraîne Athènes dans une politique occidentale et dans le désastre de Sicile, ce qui provoque la fin de l'hégémonie athénienne dans le monde antique.
Alors, quelle est la différence entre les deux sources de notre culture, la source grecque et la source chrétienne ? La différence, c'est que le christianisme réclame l'humilité, l'auto-sacrifice, le renoncement, à la façon de Socrate qui disait qu'il était pire de commettre une injustice que d'en commettre, et qui but la cigüe.
Seulement Socrate est l'exception dans le monde grec qui, à l'hybris, n'oppose pas l'humilité ni le renoncement mais la némésis, c'est-à-dire l'équilibre, la mesure, la justesse, la justice.
Photo : L'agneau mystique par Francisco de Zurbaran.