Comment augmenter son dosage de sérotonine ?
Je ne sais si vous avez fini de lire Sérotonine, mes chers lecteurs. J'aurais beaucoup de choses à en dire, mais je vais me concentrer sur la principale, à savoir que le Captorix dont se bourre le narrateur n'est pas le meilleur remède à la dépression. Il existe un moyen bien plus efficace, selon Houellebecq, de sécréter de la sérotonine, cette substance du bonheur et de l'estime de soi.
Une fois de plus, Houellebecq raconte le naufrage d'un désespéré qui, comme tous les héros de ses romans précédents, a raté sa vie, en particulier sa vie sentimentale. Il faut rappeler qu'il existe deux sortes de femmes chez cet auteur, celles d'avant et celles d'après. Attention, les féministes, il va frapper très fort ! Les femmes post-féminisme ne valent pas mieux qu'un "torchon sale". Bonnes pour le sexe, elles sont nulles pour l'amour. Mais on peut encore avoir la chance de rencontrer les derniers spécimens de ce que furent jadis les femmes, si différentes des mâles égoïstes.
L'amour, chez elles, est une puissance génératrice, tectonique, un des phénomènes les plus imposants dont la nature puisse nous offrir le spectacle, une puissance créatrice du même ordre qu'un tremblement de terre ou un bouleversement climatique. Il est à l'origine d'un autre écosystème. (p. 70)
Ces femmes-là dissolvent le sentiment d'être seul pour créer les conditions du couple et de la famille. Elles ne font pas de différence entre le corps et l'âme, ce truc d'hommes. Le romancier satirique caricature en contrepoint le portrait de plusieurs filles évoluées. Produit de la mondialisation libérale, Yuzu s'adonne à toutes les formes extrême de sexualité jusqu'à la zoophilie, ne s'émerveille de rien quand elle arrive dans un lieu nouveau, ne cherchant qu'à savoir s'il y a du réseau et passe six heures par jour dans sa salle de bain. Intermittente du spectacle, Claire en est réduite à se masturber sur scène jambes écartées sous le nez des spectateurs en récitant du Georges Bataille à la plus grande satisfaction du journaliste du Monde qui a spécialement "goûté" cette scène et "le hiératisme" de l'actrice.
Fille d'ouvriers agricoles portugais, Camille n'a pas subi l'influence délétère de la modernité libérale. Aussi son premier amour devait-il être le seul. Elle approprie immédiatement la maison où le narrateur l'accueille dans un petit bourg bas-normand dont elle tire le meilleur parti. Mais au lieu de lui proposer le mariage, le narrateur la trompe bêtement avec la première bombasse venue. Camille sanglote pendant des heures, la rupture et le malheur sont irrémédiables des deux côtés. Chez Houellebecq, on ne badine pas avec l'amour. Il faut le saisir quand il se présente et ne plus le lâcher. La suite du roman est le long tunnel de désespoir dans lequel s'enfonce le narrateur qui conclut : « Dieu est un scénariste médiocre. » (p. 181)
Il se produit cependant un rebondissement spectaculaire à la dernière page consacrée non plus au narrateur dont le destin funeste est scellé mais au récit lui-même qu'on vient de lire. Ce récit est offert comme un signal au lecteur à qui il est venu "donner sa vie", renouvelant le geste du Christ "agacé par l'endurcissement des hommes, ces minables". Révisant son jugement de la page 181, le narrateur dit que Dieu "s'occupe de nous en réalité" en nous envoyant « des signes extrêmement clairs » sous la forme des « élans d’amour qui affluent dans nos poitrines ». Le message est de résister aux « illusions de liberté individuelle » produites par « l’esprit du temps » et d' « envisager d’aimer et d’être aimé ».
Voilà qui semble fait exprès pour illustrer l'affirmation de René Girard que les grandes conclusion romanesques sont celles où le héros mourant se retourne sur son existence perdue (à cause de la vanité).