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Les villes qui ont mauvais genre


Le jeudi, à six heures, je mets des chaussures légères et je descends sur la Canebière ou sur le quai des Belges à moins que je ne m'arrête place de l'Opéra. Je m'arrête au Trolleybus, au bar de la Marine, dans les cafés les plus épais de monde, et je commande un pastis. Il y a des avocats, des flics, des truands, des marins, des putes aussi. Ce jeudi, il y en avait justement une nouvelle, Marie-Lou, une Martiniquaise. Son cul vaut le détour, j'vous jure ! Et j'espionne les conversations. Par exemple celle de ce rescapé d'un cargo qui a coulé au large de Malte, avec sa cargaison qu'il n'avait pas : sabotage pour la prime à l'assurance.

Le discours des profs et des intellos me lasse de plus en plus. Discours normalisé, aseptisé, politiquement correct, châtré par l'habitude scolastique, coupé de la vie concrète. Je préfère entendre les beurettes ou les jeunes blacks à la sortie du lycée Victor Hugo, ou carrément les voyous des cités qui ont enjambé les tourniquets du métro et qui viennent sur la plage du Prado. Ils ont un vocabulaire et un sens de la répartie tellement plus réjouissants ! Le langage professoral s'étiole du monopole dont il jouit tandis que, dans la rue, on apprend sans cesse à renvoyer la balle.

Cet art du dialogue, Virginie Despentes l'a restitué dans ses romans. Je viens de le retrouver dans ceux de Jean-Claude Izzo que je découvre avec 20 ans de retard ! Izzo, que je prenais pour un autre Peter Mayle, est un Despentes marseillais. Indispensable pour comprendre Marseille comme l'est Durrell pour connaître Alexandrie et Rinaldi pour aimer Bastia. Chez moi, le goût du parler cash remonte à loin, à mes études universitaires : tous les profs m'embêtaient sauf un, Paul Veyne, notre prof de version latine, qui s'employait à chaque phrase à casser la langue de bois universitaire. D'ailleurs aucun prof n'est devenu un vrai romancier.

J'ai visité Lyon, Toulouse, Bordeaux et Lille, ville bien plus belles que Marseille avec combien de boulevards propres et bien construits, combien de rues piétonnières aux riches boutiques franchisées. Villes cossues, fières de leur ordonnance.

De retour à Marseille, je suis complètement déprimé... pendant cinq ou six minutes. L'iode qu'on respire sur les quais du Vieux Port, l'éblouissement de la mer sur la corniche, les ruelles du Roucas, les cabanons des Goudes ont tôt fait de me remonter le moral. J'ose dire que ce qui indispose certains dans cette ville, son désordre, son débraillé, son métissage, son mauvais genre, sa saleté est justement ce qui me fait l'aimer. Madame de Sévigné aimait cette ville parce qu'elle y trouvait l'air "un peu canaille".

Aucun regret des cafés de bon ton du cours Mirabeau fréquentés par des bobos, des intellos et des touristes. Mon plaisir est d'aller dans les kebabs du cours Belsunce ou dans les cafés arabes de la gare.

Merci, Izzo !

Photos : prises jeudi dernier à Marseille, cours Belsunce et plage des Catalans. Ce fauteuil à 3 pattes enchaînée à la barrière m'a fait penser à cette scène imaginée par Albert Cosseiry où l'épouse qui dépose son homme-tronc de mari chaque matin sur le trottoir lui fait une scène un soir en venant le rechercher parce qu'elle l'a surpris en grand conciliabule avec une petite ramasseuse de mégots.

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