Yazd entre ciel et terre
(Mercredi 17 avril)
Chez nous, rue Paradis, certains copropriétaires prennent de petites permissions et annexent des espaces communs comme les conduits du monte-charges, des cheminée ou la cour intérieure. Dans nos réunions de copropriété, l’une de nos voisines ne se heurte guère qu’à de l’incrédulité quand elle invoque l’habitat bio-climatique iranien pour protester contre ces hérésies.
Construite au milieu d’un désert de pierraille, Yazd est une ville qui, à la différence de Shiraz ou d’Ispahan, offre dans son centre une image homogène : un lacis de ruelles aux murs de terre brune où brillent des fétus de paille. Ces murs isothermiques sont aveugles puisque les maisons ne s’ouvrent que sur la cour intérieure munie d’un bassin et d’un jardin. Il y a plusieurs millénaires que les habitants de cette région torride ont trouvé le moyen de se procurer de l’eau et de la fraîcheur jusqu’à avoir de la glace l’été. L’eau vient des montagnes, la fraîcheur vient du ciel. Les maisons, en effet, sont surmontées d’une tour des vents qui joue sur le différentiel entre l’air chaud de ses murs sud et ouest et l’air plus frais de ses murs nord et est. Plus lourd, l’air frais descend et, plus léger, l’air chaud monte dans des conduits verticaux qui se rencontrent très bas sous la maison. Le résultat est de diminuer de 15 degrés la température des parties basses de la maison. Ce mouvement d’air naturel est encore rafraichi en rencontrant l’eau que des canaux souterrains vont chercher dans la montagne à des dizaines de kilomètres. En Algérie, l’architecture mozabite utilise le même système de ventilation pour rendre les habitations supportables l’été.
Tout cela est obsolète, remplacé par la clim et par les forages ! Mais qui sait ... ?
J’ai parlé de la terre, de l’air et de l’eau. Et le feu, me direz-vous, lecteurs de Mircea Éliade et de Gaston Bachelard ? Les habitants de Yazd lui rendent un culte tout spécial puisque 5000 d’entre eux honorent encore le dieu du feu, Mazda. Nous avons visité le feu sacré que ses prêtres entretiennent depuis 17 siècles. Pour ne souiller ni la terre ni le feu, les mazdéens installent leurs morts au sommet d’une tour où leur chair est dévorée par les vautours. Là, je m’insurge, car en toutes choses, les vivants se nourrissent des morts et, loin de corrompre la terre, les dépouilles des morts la nourrissent ! S’ils excellent en matière de circulation de l’air, les mazdéens n’ont rien compris à la vie de la terre, cette circulation qui transforme les dépouilles des morts en végétation gracieuse !
Il y a une autre incongruité dans la maison iranienne, ce sont les marches d’escalier qui font souvent plus de 30 centimètres de hauteur. Quand on entre, on commence par descendre 3 de ces terribles marches pour accéder à un petit vestibule d’où on remonte sur un palier d'où on redescend encore de 3 marches pour accéder à la cour. De là il faudra remonter 3 ou 4 marches pour accéder aux divans ou aux chambres. Il faut encore monter 8 marches si on veut aller sur la terrasse et en descendre un nombre vertigineux pour descendre dans les salons souterrains ou les frigidaires. De plus, les linteaux sont très bas pour inciter à l’humilité et les seuils sont barrés d’un rempart contre les scorpions et autres rampants. Les garçons de café qui montent les plateaux sur les terrasses et les redescendent en galopant sont d’incroyables acrobates admirés, mais de loin, par mes pauvres articulations ! Il faut voyager...
La Tour du silence sur laquelle les mazdéens juchent leurs morts.
(à suivre)