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Un peuple n’atteint sa maturité qu’en devenant une nation


Je viens de mettre la main sur un document qui me passionne, une lettre-circulaire d'une quarantaine de pages écrite par Jacques, mon père, en novembre 1960, autant dire en pleine guerre froide, à l'intention d'un groupe d'amis avec qui il se proposait de rebâtir la France et l'Europe. Sa vision des choses m'est familière puisque j'en ai en partie hérité, mais je la redécouvre telle qu'elle était à l'époque où je n'étais qu'un gamin. Je redécouvre en clair ce qui m'était alors incompréhensible.

En un mot, il s'agissait de mener une révolution morale contre le monde moderne dominé par l'individualisme et l'argent, mais cette révolution n'aurait pas pour maîtres Marx et Lénine mais Michelet et Péguy, ce qui fait d'immenses différences qui ont gardé toute leur importance.

Du faisceau d'idées, je tire le brin nation parce que nous vivons depuis les élections européennes dans l'inquiétude de voir renaître le nationalisme. Marx et Khrouchtchev enseignaient au contraire que les prolétaires n'avaient pas de patrie. Aujourd'hui, le marxisme n'est plus mais la pensée de la déconstruction a pris le relai pour contester l'idée nationale suspecte de chauvinisme si ce n'est de fascisme. Qui a raison, les déconstructeurs ou les nationalistees ? Eh bien, ils sont aussi détestables l'un que l'autre.

Jacques affirme avec Michelet, notre grand historien de la Révolution, qu'un peuple n’atteint sa maturité qu’en devenant une nation, entendons en ayant renversé le système de l'absolutisme et des privilèges de droit divin pour s'organiser selon des lois qu'il a lui-même choisies. Il existe à partir de ce moment un acte fondateur, 1792 en France, et des liens entre citoyens qui ne sont plus subis mais choisis.

Jacques cite une lettre où Proudhon affirme que la grande révélation au XIX° siècle, c’est qu’une nation organisée constitue un être aussi personnel que les individus dont ils se composent.

Il y a donc eu deux révélations en 1789 : la nationalité et l'humanité entendues comme deux personnes morales. Le second principe est dans le prolongement du premier puisque la Révolution affirme les droits de l'homme et du citoyen, et place même l'homme avant le citoyen.

Jacques évoque ensuite les échecs de 1848. 1848 fut d'abord un échec en France parce que la République fut renversée par Napoléon III. Dans tous les autres pays d'Europe sauf la Russie se produisirent des flambées libérales et nationales, le printemps des peuples, sur le modèle français mais toutes furent réprimées par les rois et les empereurs.

Ici, Jacques cite Hugo qui écrivait en 1855 que "si 48 avait suivi son cours naturel, l’Europe des peuples eût succédé à l’Europe des rois, mais ce qu’on a eu, c’est la guerre, et je ne sais quel flamboiement de l’avenir : Blocus, villes incendiées, famine, banqueroute. »

Prémonition des guerres de 1870, de 1914, de 1939...

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