Les cascades de génitifs
En général, c'est assez vilain, les cascades de génitifs. Flaubert leur faisait la chasse et connut une nuit d'insomnie pour avoir laissé passer une couronne de fleurs d'oranger. C'est pour la même raison sans doute qu'on peut en tirer un effet catastrophe puissant comme dans cette phrase de Houellebecq : Tout était de la faute de la mini-jupe de Caroline Yessayan. (Les Particules élémentaires)
Vous vous souvenez, mon lecteur qu'au ciné-club, Michel avait osé poser sa main sur la cuisse de la petite Caroline qui l'avait repoussée au bout d'une dizaine de secondes. Il la demandait pratiquement en mariage mais une mode indécente l'a conduit à un geste qui a provoqué un réflexe de pudeur de la part de la jeune fille. Toute la vie affective de Michel en sera bouleversée, condamné à la masturbation des années durant...
Chaque fois que j'ai expliqué ce beau texte devant des étudiants, j'ai rapproché les génitifs d Houellebecq de ceux de Baudelaire dans son immortel Cygne :
Je pense à vous,
Andromaque, des bras d'un grands époux tombée.
Non seulement, Baudelaire fait un grand écart acrobatique d'une strophe à l'autre car Andromaque (4 syllabes, attention !) se trouve à l'attaque d'un nouveau quatrain, mais pour honorer L’immense majesté de [ses] douleurs de veuve, il a offert à la veuve d'Hector, devenue l'esclave du meurtrier de son époux, une terrible cascade de dentales sur un rythme binaire : des bras / d'un gran / d[t]époux / tombée.
Et pour ne pas être en reste, je vais me livrer à mon tour à une cascade en évoquant à propos des mots de Houellebecq et de Baudelaire la scène du Cuirassée Potemkine où les cadets reçoivent l'ordre de tirer sur la foule. Une femme reste immobile au milieu de la panique. En s'écroulant enfin, elle lâche le landau de son bébé qui dévale en hoquetant les 200 marches de l'escalier d'Odessa avant de plonger dans le port (voyez la scène en ligne).
Photo : L'escalier d'Odessa en 1900 et dans le film d'Eisenstein.