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Les lettrés sont-ils, meilleurs que le commun des mortels ?


En anglais, on dit les scholars : les savants, les lettrés, ceux qui passent leur vie dans les livres. D'abord ils les lisent. Après, ils en écrivent aussi. Les universités du Moyen Âge avaient horriblement abusé des discussions stériles et oiseuses. Rabelais s'en est moqué et si Montaigne s'est enfermé dans sa bibliothèque, c'est pour montrer les dangers de l'intellectualisme : « Le vrai miroir de nos discours, c’est notre vie. L’éloquence fait injure aux choses." Ne comptent que l'équilibre intérieur et la morale. Lecteur, jette mon livre, telle est la leçon de Montaigne, dans la traduction de Gide.

Malheureusement, la scolastique est une maladie de toutes les époques et de tous les climats. Il n'y a pas qu'au Moyen-Âge que les intellectuels ont méprisé les simples mortels sans donner de plus grands gages de sagesse. Voilà pourquoi je ne regrette pas la froideur mortelle des couloirs de l'université, préférant de loin la compagnie des artisans de Cucuron. Voilà pourquoi j'ai choisi le format d'un billet de moins d'une page plutôt que d'écrire des thèses de 1000 pages.

Cette manie, par exemple de citer des auteurs pour un oui pour un non ! Exemple : Chateaubriand a dit que la mémoire est la qualité de la bêtise. Avais-je besoin, après tout, d'invoquer l'autorité de Chateaubriand pour dire que l'esprit de synthèse souffre qu'on se perde dans tous les détails qu'on a appris ? Chateaubriand l'a dit dans ses Mémoires d'outre-tombe. Et alors ? N'importe qui peut le penser et quand je me suis saisi de cette formule, c'est parce qu'elle correspondait à ma conviction. Alors inutile d'encombrer mes interlocuteurs par le nom de Chateaubriand dont ils n'ont rien à faire, sous le prétexte futile de lui rendre justice.

Vous savez ce que veux dire khâgneux, mon lecteur ignorant de la scolastique et de la rhétorique ? C'est l'orthographe grotesque que les étudiants qui préparent le concours de Normale Sup donnaient à l'adjectif par lequel les scientifiques se moquaient de leurs genoux rentrés en dedans. Edmond de Goncourt écrivait en 1866 : « Je remarque que les fougueux célébrateurs des vieilles civilisations athlétiques et gymnastiques, sont en général des cagneux universitaires, au pauvre et étroit torse, enfermé dans un gilet de flanelle. »

Et si vous me dites que j'ai moi-même fait partie de l'étroit contingent des khâgneux du lycée Thiers, j'ai bien de quoi vous répondre. C'est pas pour me vanter mais je dois à la vérité de rappeler que le jour de la rentrée, les bizuts durent défiler sur le bureau professoral en relevant leur pantalon au-dessus du genou et que l'auteur de ce billet fut élu plus beau mollet par les filles de la classe. Nous serons hérétiques et dissidents !

Sur ce, il faut que j'aille réparer le bras du fauteuil qui brandouille, tenons cassés et mortaises colmatées.




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