Le sexe est-il drôle ?
Un jour, Martine avait réuni quelques consœurs du barreau de Marseille. Il n'y avait que deux hommes, votre serviteur et un musicologue assez distingué qui s'est mis à dire qu'il s'intéressait beaucoup au marquis de Sade sur lequel il donnait des conférences. J'ai immédiatement tourné mes regards vers ces dames, surtout les plus sucrées, qui ont tout de suite pris une mine enchantée et réjouie devant un sujet si intéressant. C'est surtout de leur sourire que je voudrais parler.
Comme vous le savez, mes lectrices, ce sont toujours des hommes qui fouettent des femmes. Quand ce sont des femmes, elle le font sur commande. Faut-il en conclure qu'il existe quelque tendance féminine au masochisme, si on entend par là une complaisance à se mouler dans le désir masculin, même s'il est un peu cuisant ? Les caresses de l'amour-propre sont si douces... Pareil pour Dom Juan : il m'a toujours semblé que mes étudiantes allaient ajuster leur toilette si je leur annonçais que Dom Juan en personne allait frapper à la porte pour éclairer notre étude de la pièce de Molière.
Et bien tout a changé depuis quelques années ! Jina ne sourit pas du tout dès que la conversation vient sur les violences faites aux femmes, l'affaire Weinstein ou l'affaire Matzneff. Elle s'indigne tout de suite et parle de domination, de patriarcat et d'hypocrisie.
Schopenhauer avait remarqué qu'en son temps le sexe était un inépuisable sujet de plaisanteries, d'allusions, de complicité. D'où cela pouvait-il donc bien venir sinon du plaisir de la transgression ? Que ce soit à tort ou à raison, la morale conjugale et le moralisme catholique et protestant ont strictement limité l'accès au fruit délicieux. De là le rire et le sourire qui ont si longtemps accompagné toute allusion sexuelle, sourire de contrebande (sans allusion), sourire de complicité à ne pas être entendu par les représentants de l'ordre moral.
Je soulignerai quand même un grand paradoxe. Mai 68 a renversé les normes de la famille traditionnelle et libéré le sexe. Du coup Sade a été la coqueluche de la génération structuraliste au nom de la liberté sexuelle. La pédophilie aussi a bénéficié d'une complaisance dans la quelle pouvaient se retrouver les vieux barbons incestueux et les anticonformistes comme Léo Ferré, Philippe Sollers ou Gabriel Mazneff !
Cette période n'a pas duré 50 ans. Fini de rire et de sourire, mais aussi fini de jouir sans entraves. Le sexe est devenu une affaire sérieuse. On ne badine pas avec l'amour...