Dire que j'avais zappé le traité de Sèvres !
Comme vous, mon lecteur, j'ai vu cent fois à la télé des infos sur la Turquie, déploré les malheurs des Arméniens et des Khurdes persécutés par Ankara, assisté aux chamailleries des sunnites et des chiites dans tout le Moyen-Orient. C'est comme de voir un film sans le son. Bien sûr, à plusieurs reprises, j'ai écouté des explications sur le pourquoi et le comment de ces imbroglios décourageants, mais c'est tellement compliqué qu'on n'y comprend rien du tout. J'aimerais vous faire profiter de ce que j'ai un peu mieux saisi grâce au documentaire de Mathide Damoisel (mon dernier billet). Désossons !
Premièrement, sous l'empire ottoman, les musulmans sunnites et chiites, turcs ou arabes, les différentes sortes de chrétiens, les juifs, les khurdes, je ne sais qui encore, vivaient en bonne entente, mêlés les uns aux autres un peu partout. Ils subissaient la férule d'Istanbul, mais ne manifestaient pas de revendications ethniques.
Deuxièmement, l'empire ottoman, déjà amputé au XIX° siècle de ses parties européennes et africaines, a été complètement dépecé après sa défaite en 1918. C'était justice, non ? C'est le traité de Sèvres qui a décidé de tout cela en 1920. J'avais complètement zappé le Traité de Sèvres ! On sait comment la France et l'Angleterre se sont partagé le Moyen-Orient, mais, en plus, le traité avait ménagé sur l'Anatolie elle-même une zone grecque, la région de Smyrne, et des territoires nationaux pour les Arméniens et pour les Khurdes. Ça c'était plutôt une bonne idée, il me semble !
Troisièmement, ce traité ressemble en réalité au traité de Versailles qui a tant humilié l'Allemagne au même moment. Vae victis ! L'Empire ottoman a été non seulement amputé mais aussi ligoté : démilitarisation, indemnités à payer, mise sous tutelle des finances. Résultat, Sèvres a fait Mustapha Kémal, le vainqueur de Gallipoli, comme Versailles a fait Hitler ! La révolution nationaliste de Kémal lui permet de renverser le sultan en 1923 et de récupérer les territoires grecs, arméniens et kurdes, triple catastrophe !
Nota bene : Les Anglais s'étaient pris la Mésopotamie (= Irak), mais comme la révolte grondait, ils ont décidé de se dégager (enfin en apparence) et d'y mettre un roi, le fameux Fayçal d'Arabie à qui on avait promis un trône à Damas. Il a eu celui de Bagdad sur les conseils de Gerdrude Bell, une amie de Lawrence, "la reine sans couronne" d'Irak. Quelle mauvaise idée ! Un prince étranger sunnite en pays chiite ne peut qu'attiser des conflits qui durent encore... Fayçal aurait-il mieux réussi à la tête du grand royaume arabe de Damas rêvé par Lawrence ? Qui le sait ?
Conclusion : Vive la laïcité !