Jésus, Mohamed et le chameau
Le Coran n’est guère tourné vers la vie intérieure puisque l’important, ce sont les devoirs envers Dieu et les rituels qui en découlent. En résumé, l'Évangile, c'est l'Amour et le Coran, c'est la Loi. J'ajouterai que l'Amour étant infini et la Loi finie, faire le choix chrétien sérieusement, c'est emprunter un chemin beaucoup plus ardu. J'avais un peu développé ça dans mon petit livre dialogué sur Houellebecq, La République insoumise à partir de deux exemples.
Après le Coran, j'avais fouillé dans les Hadiths, vous savez, ces paroles du prophète, qui inspirent beaucoup les musulmans et j'en avais extrait l’histoire de l’homme qui demande à Mahomet s’il doit faire plus que les cinq prières, s’il doit jeûner plus que pendant le ramadan, s’il doit donner plus que la zekaa, et à qui l’Envoyé de Dieu répond par trois fois : « Non, à moins que ce ne soit volontairement », avec ce commentaire : « Cet homme sera un des bienheureux s’il est sincère. » (El Bokhari, L’Authentique tradition musulmane. Choix de hadiths, traduction, introduction et notes par G-H Bousquet, Fasquelle, 1964. , p. 41)
C’est à croire que Mahomet avait en tête la parabole du jeune homme riche de l’Évangile, et qu'il a voulu indiquer un choix plus modéré. Le jeune homme en question respecte tous les commandements : « Tu ne tueras point ; tu ne commettras point l’adultère ; tu ne déroberas point ; tu ne diras pas de faux témoignages ; tu honoreras ton père et ta mère ; aime ton prochain comme toi-même. » Comme il demande à Jésus ce qui lui manque encore, Jésus lui demande, en plus, de donner tous ses biens aux pauvres pour entrer dans le Royaume de Dieu, car "il est plus difficile à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille".
J'ai toujours admiré l'humour de cette comparaison : vous imaginez un chameau, mon lecteur, essayant de se faufiler dans l'étroit orifice ? Aucune chance, évidemment. Et dans le meilleur des cas, même s'il arrivait à se faire vraiment très, très petit, l'animal resterait bloqué par sa bosse. C'est sans dote là qu'il a caché toute sa fortune ! Quelle géniale métaphore ! Et en plus, pour vilipender Mammon, c'est-à-dire l'Argent, l'infâme capitalisme...
Du coup, conclut l'Évangile, le jeune homme tourna les talons et se retira "tout triste car il avait de grands biens". (Matthieu 19, 16, Marc, 10, 17)
Qu'est-ce que vous auriez fait, vous, à sa place, mon lecteur ? Personnellement, je crois que j'aurais hésité bien que je ne sois pas si riche que ça, ni si jeune, d’ailleurs.