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Ces romans qui n’ont pas eu lieu



Quand je fais un petit bilan de mon existence, je me rends compte qu’il y a plusieurs points de bifurcation où la bille a hésité plusieurs secondes avant de dévaler d’un côté ou de l’autre : une rencontre, une nomination, un accident évité, une réussite ou un échec professionnels. Et si mon père n’avait pas renoncé à se faire jésuite ? En fait, la vie n’est peut-être faite que de ces hasards. Si j’avais le talent d’un romancier, je pourrais écrire plusieurs histoires d’amour que je n’ai pas vécues. Des vies parallèles.

Je change d’échelle. Quand nous avons débarqué à Alexandrie en 1972, il y avait 20 ans que Nasser avait fait la Révolution et chassé la communauté cosmopolite francophone qui avait donné sa note à la ville. Il restait de somptueuses villas fermées, des antiquaires regorgeant d’objets rococo et de rares débris humains des communautés grecque, arménienne, italienne, juive, etc. Nous avons connu quelques uns de ces survivants, Constantino Coftis, l’antiquaire de la Safia Zaghloul, Gagliunghi, notre agent de voyage diligent, Fanny Issawi, notre propriétaire de la rue des pharaons, madame Christine, la patronne de l’Élite, mon étudiante au Centre Culturel. Leurs noms me remontent en mémoire.

Nasser s’est privé de la compétence de ces élites blanches qui auraient permis une transition en douceur, relancé l’économie et pourquoi pas entretenu tolérance et démocratie. C’est un rêve ? C’est bien ce que je vous dis, un roman qui n’a pas eu lieu. Le joli mot de levantin, e, existerait encore pour désigner les minorités catholiques, anglicanes, protestantes, uniates, juives, etc., témoins des religions autochtones qui proliférèrent au Moyen Orient pendant deux millénaires et beaucoup plus.

Il est vrai que Churchill et Guy Mollet ont été tout aussi raides quand ils ont envoyé leurs avions sur Suez en 56. Je sais aussi qu’Isabelle la catholique a donné le mauvais exemple en 1492 quand elle a chassé juifs et musulmans d’Espagne, pays orgueilleux qui prit cinq siècles de retard et ne sut pas profiter de l’or américain. Chassés de France par Louis XIV, les huguenots firent la fortune d’Amsterdam, de Londres ou de Berlin.

Mauvais calculs. Nelson Mandela a été beaucoup plus intelligent en gardant les afrikaners en Afrique du sud.

L’Égypte aurait pu donner un magnifique exemple à tout le Moyen-Orient et retrouver les voies d’Al Andalus quatre siècles plus tôt au lieu d’embrasser le modèle soviétique qui n’a apporté que ruines et dictatures.

Qu’en pensent mes lectrices d’Alexandrie, mes anciennes collègues ou étudiantes pour certaines ?

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