Comment mener une double vie ?
Hier matin, pour être aux premières loges au marché aux puces de Carpentras, on a carrément pris une chambre à l’hôtel du Fiacre à 50 mètres, un hôtel particulier XVIII° dans son jus, comme on dit. C’est là que, il y a 40 ans, descendaient les célébrités de la chanson, comme le montre le livre d’or.
Quand, au petit matin, on voit une femme élégante enjamber de petits murets, c’est en général qu’elle rentre chez elle après une nuit irrégulière. Mais là, non, c’était juste Michèle, pressée de devancer les pros de l’Isle-sur-Sorgue au moment du déballage. Inutile de l’appeler à ce moment-là : elle vous raccrochera au nez. Elle a déniché plusieurs poteries anciennes de toute beauté, une tunique de lin et un plateau de papier bouilli d’un vieil orange à mourir, sa couleur de l’année. Elle a son broco préféré à qui elle disait qu’elle éprouvait autant de plaisir à contempler une belle poterie que les tableaux de maîtres des musées.
Moi, je me disais qu’il y a en réalité deux façons de mener une double vie, l’art et l’hôtellerie. Gérard de Nerval affirmait que, pour lui, la vraie vie commençait à 6 heures le soir, moment où, à l’époque, commençaient les représentations théâtrales, qui le consolaient des laideurs du temps. C’est vrai qu’un film ou un roman, c’est une façon de mener une existence alternative quand on en a un peu marre...
Descendre dans un bel hôtel ou prendre une table dans un beau restau, c’est assez la même chose, bien que le spectacle qui se joue soit toujours le même : une reconstitution historique dans un décor artificiel du rapport maître-serviteur avant la nuit du 4 août. Les républicains français ne s’en lassent pas. On vous traite comme un prince, comme si la Révolution n’avait pas eu lieu. Un personnel en habit exhausse vos moindres désirs avec déférence. Monsieur a fait son choix ? Madame est satisfaite ? Service avant tout. Pour une belle soirée d'été, n’importe quel crocheteur revêt pour deux heures la livrée du prince Salina.
Comme disait le marquis, Français, encore un effort pour être républicains.
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