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En thérapie ?




Bruno : Hier soir, sous la couette, on a regardé deux épisodes d'En thérapie.

Annick : Et ?

- Je reconnais que c'est bien joué et que les dialogues sont très bien. Les séries françaises sont les meilleures à cause de ça.

- Et comme analyse ?

- J'ai remarqué que le psy cherche toujours à coincer son patient comme s'il voulait lui faire avouer quelque chose. Il attire son attention sur plusieurs détails, puis tantôt il les rapproche, tantôt il montre une contradiction.

- C'est normal : il veut mettre en évidence le traumatisme caché. Tant que le patient n'a pas conscience de son traumatisme, il ne pourra pas guérir.

- J'y crois pas beaucoup à cette histoire de traumatisme caché...

- Regarde l'affaire Duhamel. Les victimes avaient refoulé l'inceste, maintenant ça ressort et les victimes sont soulagées de pouvoir en parler.

- C'est pas pareil ! L'inceste, tout le monde le savait, à commencer par la victime, on l'a assez répété. Le refoulement, il était social. Ça n'a rien à voir avec l'inconscient. Quand on a subi un traumatisme, on le sait très bien, même si on n'en parle pas.

- Ça, c'est pas sûr... Dans la vie, il vient un moment où il faut revenir sur son passé pour comprendre le moment où on a pris un mauvais chemin, l'obstacle qui a fait dévier. Le rôle du psy, c'est de faire ressortir le trauma.

- Le trauma, le trauma ! On joue au détective, on fait un jeu de piste comme s'il y avait une clé cachée sous une pierre et que, si on la trouve, on va être délivré d'un enchantement. C'est pas comme ça que ça marche. Dans neuf cas sur dix, c'est d'une situation traumatisante qu'il s'agit, d'une ambiance, une sorte de parallélogramme de forces avec plusieurs personnages, le père, la mère, les frères et les sœurs, plus X et Y. Par exemple une mère froide, un père méprisant, un frère rival, etc. Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir été violé par son beau-père, c'est trop facile !

- Là, Bruno, tu deviens cynique, et machiste en plus !

- Disons que c'est du cynisme pédagogique.

- Pédagogique de quoi ?

- D'abord, c'est pas du tout de sexe qu'il s'agit fondamentalement comme l'a cru Freud, ce sont les blessures d'amour-propre qui sont traumatisantes.

- Quinze pour cent des filles déclarent avoir subi des viols : c'est pas du sexe, ça ?

- Pas du tout ! C'est de la honte que ressentent les victimes. Elles demandaient de l'amour, on leur a servi de la domination. Elles en perdent l'estime d'elles-mêmes. C'est du sexe évidemment, mais le sexe est surdéterminé par de l'emprise.

- Pour aller dans ton sens, j'ai remarqué que s'il fallait en croire Freud, croire en Freud, c'est l'enfant qui aurait des désirs d'inceste. Dans la vraie vie, c'est le contraire.

- J'te l'fais pas dire ! Freud nous a bien embrouillés, nous a bien enfumés, avec son Œdipe de malheur. Mais pour le moment, je tiens à mon idée que cette histoire de trauma, c'est trop facile. On mène sa petite enquête, on trouve le coupable et, hop, on se sent déjà mieux. Parce que le coupable, c'est toujours les autres... Finalement on a juste trouvé un bouc émissaire.

- Là, Bruno, tu exagères vraiment ! Alors, Olivier Duhamel, c'est un bouc émissaire, les pédophiles, c'est des boucs émissaires ! Et les parents ont toujours raison !? Tu m'as parlé de Péguy l'autre jour, qui dit que quand un fils parle mal de son père, ou même porte la main sur son père, c'est toujours le père qui a tort. Le jour de sa naissance, l'enfant est innocent : c'est donc bien ceux qui étaient là avant qui sont responsables de toutes les perversions qu'on observera plus tard !

- Je suis d'accord à 100 % avec ce que tu viens de dire. Seulement, moi, mon père, il est mort et enterré et ma mère aussi. Je trouve que mon frère a des torts envers moi mais je n'arriverai certainement jamais à le faire changer. Tout ça, premièrement, je l'sais très bien, deuxièmement, je n'y peux rien. Tout ce que j'peux faire, et ce que j'dois faire, c'est d'agir sur moi-même. À quoi bon jouer les victimes et nourrir son ressentiment ? Évidemment qu'il y a des causes à toutes mes déformations. Mais on se détourne de la vraie question quand on se polarise sur la recherche des causes. C'est avec soi-même qu'on a maintenant des comptes à régler. C'est pour ça que je soutiens qu'il ne faut pas faire des boucs émissaires, des boucs émissaires coupables...

- Qu'est-ce que c'est que ça, des boucs émissaires coupables ? C'est absurde !

- Pourtant, si on veut sortir du manichéisme, il faut admettre que tout le monde a commis des erreurs ou des fautes, en particulier tous les parents, tu le disais toi-même. Mais il faut arrêter d'accuser et plutôt faire le ménage en soi-même. (1) C'est pas parce qu'on a commencé à être victime qu'il faut faire des victimes à son tour. Alors, oublions un peu le passé et tâchons de redresser nos jugements faussés. Voilà à quoi peut nous aider un psy, à arrêter de mettre des plus plus et des moins moins sur les autres et sur soi-même.

- Oui, Bruno. C'est pas mal, ce que tu viens de dire. Cette idée me plaît. Le problème, c'est que quand on juge mal les autres, c'est parce qu'on s'évalue mal soi-même, seulement on ne s'en rend pas compte. C'est inconscient !

- Bien sûr que c'est inconscient ! C'est tellement inconscient que je crois que tu viens de donner la vraie définition de l'inconscient, c'est la tendance à exagérer ses appréciations, dans un sens ou dans un autre, c'est tout. Il faut beaucoup de courage pour redresser la barre.

- Du courage ?

- Ben oui... Imagine, quand on a tout un plan de vie, bâti depuis des dizaines d'années sur l'idée qu'on est le meilleur de tous ou au contraire que les autres nous sont supérieurs, ça coûte cher de tout remettre en question et d'avouer qu'on s'est gravement planté. L'amour-propre résiste de toutes ses forces, ou la fierté si on préfère. C'est un peu humiliant dans un premier temps. Ça chamboule tout. Mais le bénéfice peut être immense. - Quel bénéfice ?

- Faire baisser le niveau de l'angoisse. Dès qu'on accepte de renoncer à ses excès de jugement, les relations s'améliorent et on se sent mieux.

- Il n'y a rien d'autre ?

- Pas que je sache.


(1) Plusieurs lecteurs m'ont demandé si je visais le livre de Camille Kouchner. Pas du tout. Je parle de la cure analytique dans les cas les plus ordinaires. Quand il y a une offense caractérisée ou même un crime, c'est autre chose




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