Hé ! Ho, les architectes !
Jusqu'à quand va-t-on continuer à construire des pavillons de banlieue à la con avec jardinet et piscine gonflable et des apparts stéréotypées de type F2 ou F3 et F4 superposés les uns sur les autres avec une rangée de fusains sous les fenêtres du rez-de-chaussée et le parking pour tout horizon ? Dans les deux cas, c'est le reflet du vice constitutif de la société moderne, l'individualisme. En plus, la famille nucléaire petite-bourgeoise avec papa/maman et deux enfants est elle-même en voie de fracturation avancée. La moitié des couples se séparent. La moitié des logements sont habités par une personne seule qui souffre de solitude et d'ennui aggravés. Oui, solitude, ennui, médiocrité et absurdité de la vie, sont les fléaux de la modernité, inconnus de toutes les autres sociétés, devenus si ordinaires qu’on les accepte comme les mouches et la pluie.
Il est vrai qu’on invoque depuis quelque temps une architecture inclusive, c-à-d qui se soucie de l'accès des handicapés, des femmes enceintes et des mal voyants. C'est bien ! Le problème, c'est que la moitié des hôtes de la société alvéolaire moderne sont des handicapés sociologiques et que l’architecture y est pour quelque chose, à force de cloisonner et de recloisonner comme aux Beaumettes.
J’ai repensé à tout cela en lisant un ouvrage où Serge Audier cite un article écrit par un collaborateur de Pierre Leroux en 1842, François Vidal. L’individualisme était alors un fait tout nouveau, le mot était lui-même un néologisme apparu en 1825. Vidal s’affligeait de la médiocrité de l’habitait ouvrier et réclamait la mise en commun d’éclairages, de bains, de buanderies, d’espace de restauration, de jardins, de bibliothèques, de crèches...
Attention ! Vidal appartenait à l’école de Leroux dont l’axiome était que le collectivisme était le fléau symétrique de l’individualisme. Pas question de communisme à la Platon, à la Marx ou à la Badiou. Toute la question moderne est d’équilibrer le social et l’individuel.
Finalement, le pavillon de banlieue et le T3 au 12ème étage d’un immeuble du boulevard Sakakini ne diffèrent pas beaucoup d’une cellule pénitentiaire. C’est la même terrible solitude pour tant d’étudiants paumés, de chômeurs divorcés en fin de droit, de mères célibataires, de couples qui se sont tout dit, de retraités sans amis, de veufs qui n’ont que la télé pour compagnie et la mort solitaire comme perspective. Ah, l'angoisse de 18 heures quand il faut allumer l'électricité dans le logis silencieux et désert, et tenir jusqu'au lendemain !
Le défi est de mutualiser certains espaces de loisir luxueux où l’homme puisse parler avec l’homme, boire un coup, faire jouer les enfants, jardiner, faire quelque chose, que diable ! En plus, on a dit que ça suffisait avec le ravage des espaces naturels qui multiplie les parcours automobiles chronophages et carbonivores pour contourner d’interminables périphéries.
Architectes et urbanistes, à vos cartons à dessin. Mais je vous préviens, il va falloir commencer par beaucoup démolir ! Quand on a fait tout faux, on arrache la page et on recommence.
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