Je vieillis mal
Le monde est obèse !
Ça se voit au volume des poubelles sur les trottoirs, qui grossit d’années en années pour finir on ne sait où. Tous les pays font la course à qui produira le plus de déchets. Cela expliquant ceci, le tour de taille des humains subit la même croissance. Tocqueville avait raison de le dire : le soi-disant individualisme moderne est en réalité un panurgisme généralisé. La pub nous a formatés depuis un siècle à un standard de vie qui consomme pêle-mêle des objets utiles/inutiles/nuisibles : retirez-en les 2/3 ! Et, en même temps, la population mondiale subit une croissance exponentielle.
En ce sens, je dis bien en ce sens, je partage les imprécations d’un Péguy ou d’un Bernanos contre ce monde moderne de malheur, ce qui induit une attitude minimaliste, c’est-à-dire un filtrage sévère du moindre objet qui prétend s’installer chez moi. Et, en sens inverse, je fais la chasse aux objets morts qui font de la résistance au fond de mes tiroirs comme les piles électriques plus ou moins usagées, on ne sait pas, ou les pièces de monnaie d’un pays où on ne mettra plus les pieds, ou alors, elles seront périmées. Ce ne sont que des exemples. Il faudra faire l’inventaire des placards de nos cuisines, de nos penderies, de nos caves, de nos garages. Et de nos bibliothèques ! La plupart de mes amis disent que les livres sont sacrés. J’adore ne garder que ceux que j'aime vraiment et liquider tous ceux qui me font des grimaces chaque fois que je passe devant eux, ou que je ne lirai jamais. Au recyclage ! La benne n’est pas loin, ni la Bibliothèque municipale où il y a tout, ni les livres de poche à 6 euros dans la librairie du coin. Et les classiques sont en ligne. Rien de plus terrible que les bouquins quand on déménage : lourds, encombrants et poussiéreux. Un peu de pitié pour nos héritiers, quand même !
Vous me direz que les livres sont des biens immatériels et vous aurez raison. Ce qui compte, c’est pas le papier, c’est le texte, mais justement... Combien de livres d’idées qui se résumeraient profitablement en dix pages là où il y en a 450 ! Même chose pour les notes de cours ou de lecture, pour la radio, le journal, les photos. Je vous ai dit que je vieillis mal, puisqu'il est entendu que la vie, c'est la conso, le potlatch. Je m’impatiente en effet sur France Culture chaque matin de ces interviews qui font durer 10 minutes une info qui tiendrait en une, ou ces pages du Monde qui distillent sur trois colonnes ce qui tiendrait en ½. La vie est trop courte… J’en arrive aux photos. Là aussi, c’est l’obésité généralisée. J’en ai moi-même des milliers numérisées et, dans la famille, on me fait deux réputations opposées : Bruno est un antiquaire, un archiviste qui classe et préserve / Bruno est un éradicateur qui sacrifie le patrimoine et met en péril nos plus beaux souvenirs. En réalité, ce n’est pas du tout contradictoire. En débarrassant le médiocre, le répétitif, le dépassé, on exalte ce qui a de la valeur. Mieux vaut transmettre 300 photos intéressantes aux générations futures qu’un fatras de 10 000 photos qui iront direct à la corbeille.
Comme on se sent léger après, et content d’avoir redonné vie au meilleur.
Photo : mannequin de chiffon par Antonia, récupéré après un hiver dans un sillon entre deux oliviers...
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