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L’université a failli à sa mission


Je veux dire en littérature. Avant, il y avait la religion, qui décline de jour en jour depuis la Renaissance, les Lumières, etc. La littérature a progressivement pris le relai au point d’être devenue une nouvelle religion. Les études les plus nobles étaient les études de lettres et la Troisième république avait poursuivi le but d’en mettre les rudiments à la portée de tous : Rabelais, Molière, Voltaire, Hugo, un auteur par siècle. J’entends encore Sylvain Bênet, le simple de notre village, énoncer de sa voix rocailleuse et caverneuse : Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins.

Voici que la littérature glisse sur la même pente que la religion et devient une spécialité rare et très mal enseignée. Ma sœur m’a même reproché d’avoir parlé de La Fontaine à table et de Mignonne allons voir si la rose : trop élitiste.

Une société peut-elle vivre sans religion, et, à défaut, sans littérature ? Je ne parle pas de biologie. Il est exact que la biologie ignore la littérature mais une société, c’est un réseau de liens. Si ces liens n’existent plus, la société se dissout. Seuls les individus survivent mais ils souffrent de vivre d’une existence purement phénoménale : manger, dormir, faire sa toilette, aller chez le docteur, vérifier l’addition, parler du coût de la vie, bien choisir son opérateur téléphonique, veiller à ce que la voiture ne soit pas rayée, que le chauffe-eau et tous les appareils marchent bien. Je m’adonne personnellement à toutes ces occupations essentielles et indispensables, mais le compte n’y est pas.

J’ai parlé de liens. Or il y a deux sortes de liens : horizontal avec les contemporains / vertical entre les générations.

Le premier socialisme, celui de Pierre Leroux et de ses amis, se souciait de la solidarité des générations autant que de la solidarité des contemporains. Dans les deux cas, un lien bien réglé assure la chaleur humaine indispensable à la vie morale. Relâchez le lien : c’est la solitude et la nausée. Serrez-le trop : on suffoque et on étouffe.

Il se pourrait que le lien entre les générations soit aussi important que celui qui nous unit à nos voisins. On a beaucoup exagéré avec Dieu le père, mais il est clair qu’il ne peut exister de fraternité sans paternité. En d’autres termes, il faut un point sublime que tous puissent voir et aimer. Si vous placez une lanterne au ras du sol, ça ne sert à rien. Mettez-la à trois mètres de hauteur : chacun en profitera. Le soleil joue ce rôle dans la journée, les Incas et les Égyptiens avaient raison de lui rendre un culte. Mais la nuit, les angoisses nous reprennent. C’est là que joue la solidarité des générations dont la littérature est la meilleure expression.

Vous avez bien compris que quand je dis la littérature, c’est au sens large, l'héritage, les arts, la culture conçue comme une méditation sur notre devenir, des racines aux fleurs. Le passé et l’avenir (indissociables) sont le soleil qui éclaire (ou pas) et réchauffe (ou pas) le fond de nos consciences. En plus, la grande littérature n’est pas étouffante, elle est libératrice et révolutionnaire depuis Homère, et ouverte sur l’extérieur.

Le structuralisme s’est cru malin de faire exactement le contraire et de nier toute diachronie. Les facultés de lettres en ont été crétinisées pendant 50 ans…


Photo extraite de ma collection particulière.

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