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La table et le lit



Quels sont les deux meubles les plus importants de la maison ? La table et le lit, bien sûr. Le lit, c’est là où on naît, là où on dort, là où on fait l’amour et là où on meurt. Existentiel et ontologique, donc. Mais encore faut-il entretenir et réparer ses forces trois fois par jour. C’est là qu’intervient la table, je veux dire la table de la cuisine. On a raison de dire que la commensalité est le propre de l’homme comme le rire et le pouce opposable aux autres doigts. Les animaux mangent dans leur coin. Ce qui compte, dans commensalité, c'est surtout le cum = avec. Quand chacun va s’accroupir devant le frigidaire et file devant son ordi avec son assiette, c’est le commencement de la barbarie.

La cuisine est un don en deux sens. 1) On a reçu la recette de ses parents et on la transmet à ses descendants. 2) Celui a cuisiné donne à celui qui tend son assiette.

Nous vivons une mutation anthropologique majeure. À l’époque préhistorique, c’est l’homme qui entrait dans la caverne une pièce de gibier sur l'épaule mais depuis l’invention de l’agriculture et de l’élevage, c’est la femme qui va sur le marché et qui passe la moitié de sa vie à cuisiner pour sa famille. Cet art de vivre est en voie de disparition. L’industrie agroalimentaire et le micro-onde remplacent la mère de famille.

- Où veux-tu en venir, Bruno ?

- Je veux en venir à l’idée qu’il y a toujours des restes.

- Comment ça des restes ? De quoi tu veux parler ?

- Je veux parler du principe d’ambivalence.

- Quésaco ?

- Regardez : la liberté sexuelle et l’aviation ont complètement bouleversé les familles. On peut maintenant faire l’amour avec qui on veut, quand on veut et où on veut.

- C’est formidable, non ?

- Bien sûr que c'est formidable, mais il y a un reste.

- Quel reste ?

- Le reste, c’est que les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses et que, souvent, quand un enfant a quatre parents, ils sont disséminés aux cinq coins de l’hexagone ou même aux quatre coins du monde. Résultat, les grands-mères n’iront plus chercher leurs petits-enfants à l’école.

- Et alors ?

- Ben, elles ne leur apprendront plus à faire la cuisine. Résultat : a ) on s’alimente mal, voyez l’obésité. b ) le lien de filiation est brisé.

- Et la loi d’ambivalence ?

- C’est qu’un progrès a le plus souvent des effets pervers.

- Vous seriez pas un peu réac, Bruno ?

- Je ne sais quel personnage de Molière disait : Je dis ce que je dis et je ne dis pas ce que je ne dis pas. À vous de vous débrouiller.


Photo : ma collection particulière (découpé dans Le Monde).

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