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Le paradoxe de monsieur Romanetti


Nous avons vécu plusieurs belles années à Ajaccio dans un quartier de petites villas vieillissantes. Les trottoirs étaient plantés d’orangers. Notre voisin ne cherchait qu’une occasion pour m’inviter à boire un pastis dans le profond canapé fleuri de son salon. Il ne quittait guère ses pantoufles. La télé ne s’arrêtait jamais. Il faut dire que Monsieur Romanetti avait passé une longue partie de sa vie à vendre des téléviseurs jusque dans des villages sans électricité. Il me racontait des histoires de brigands. Je me souviens aussi des menus de ses réveillons qu’il me détaillait.

Il me parlait de sa pauvre femme qu’il avait perdue récemment au village. Il élevait donc tant bien que mal ses deux filles encore jeunes, qui jouaient parfois avec les nôtres. L’aînée s’appelait Gabrielle. Eh bien, elle a eu un accident de mobylette et elle est morte ! C’est du moins la nouvelle qui lui fut annoncée. Si ce qu’on m’a raconté est vrai, une crise cardiaque l’a terrassé à son tour !

La suite de l’histoire est que Gabrielle n’était pas vraiment morte et qu’elle s’est rétablie. Je pense aussitôt au dernier vers de l’Œdipe roi de Sophocle : Avant le jour de sa mort, on ne peut dire d’un homme que sa vie fut heureuse.

Le paradoxe ce serait de dire que la souffrance horrible de Monsieur Romanetti n’a duré que 5 minutes, ce qui est bien peu au regard des nombreuses années de sa vie. C’est un peu choquant mais la vérité est peut-être là, je ne sais vraiment pas… Ce qui est sûr, c'est que si quelqu'un peut faire le bilan de la vie de Monsieur Romanetti, ce n'est pas lui.

Je me dis que si je retourne à Ajaccio, j’irai faire un tour par la rue d’Iéna.


Photo : Je remercie Nicolas Mas de m'avoir autorisé à reproduire cette photo qui m'a beaucoup frappé. Je renvoie à ses beaux sites pour en savoir davantage :

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