Vous aimez la décadence ?
Longtemps, je l’avoue, quand d'autres s'adonnaient aux flippers ou aux jukebox, j’aimais traîner dans les ruines de fermes ou d’hôtels abandonnés, voire dans des usines désaffectées. J’avais un sac sur le dos que je remplissais de ce que j’appelais mon butin. Cela me sert encore pour ma collection particulière ou pour la réfection de mes maisons, ferraille, verre, brique, bois. Je ne sais pas si ça vient de là ou de mes études classiques qui m’ont fait manger du grec et du latin pendant des années, en tout cas, j’ai comme signe particulier un fort tropisme passéiste : j’éprouve le même frisson historique que Flaubert à l’évocation des vieilles civilisations méditerranéennes. La lecture de Giono et la fréquentation du Luberon m’ont aussi tourné vers la culture rurale provençale. Mon séjour de deux années à Alexandrie d’Égypte a ajouté une touche en faveur des vestiges de la ville coloniale cosmopolite poétisée par Durrell. Toujours regarder dans le rétroviseur. C’est ce tropisme certainement qui m'a fait chanter l’air de la décadence à propos du Guépard et du Salon de musique dans mon billet du 15 octobre. Cela n’a pas plu à Solange qui a protesté : « Eh bien, tu vois, [j’adore le tu vois] moi, notre civilisation décadente m'afflige et me terrifie. Ça doit être mon vieux fond d’ordre. Je me prends à rêver d'un État fort, militaire, avec des hommes vertueux. »
En réalité, moi non plus j’aime pas quand tout fout le camp et mon petit côté facho, me fait espérer un sérieux tour de vis. Mais ce mot de décadence est ambigu. Si par décadence, on entend nostalgie de ce qui fut grand et beau, alors, il se pourrait que je pense exactement comme Solange.
Deux remarques pourtant :
D'abord, il ne faut pas confondre la réalité et sa représentation artistique qui a toujours fait, surtout depuis la naissance du christianisme, de l’or avec de la boue : Musset disait :
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Deuxième chose : c’est trop facile d’opposer tradition et modernité en ne mettant la valeur que d’un seul côté, quel qu’il soit. Prenez le problème que vous voudrez, l’argent, le travail, la santé, le sexe, la famille, la nature, etc. : il y a à regretter dans la tradition / il y a applaudir dans la modernité et inversement. Qui sort de cette grande loi d’ambivalence des choses humaines est sûr de se fourvoyer.
Photo : mon butin l'Isle-sur-la-Sorgue samedi.
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